En espace de cinq mois, la République Démocratique du Congo a connu deux Premiers ministres. L’un issu de l’Accord de la Cité de l’Union Africaine, l’autre de l’Accord dit de la Saint-Sylvestre. Ce dernier est dirigé par Bruno Tshibala qui sera aujourd’hui devant la chambre basse du parlement pour défendre son programme d’action. Bruno Tshibala se trouve devant une montagne à escamoter, notamment la dépréciation de la monnaie nationale, la sécurité dans les provinces issues du Kasaï-Occidental et Kasaï-Oriental, le délabrement très avancé de la voirie urbaine à Kinshasa, l’organisation des élections fin décembre.
Qu’il pleuve ou qu’il neige, la République Démocratique du Congo dispose d’un chef du Gouvernement et de son équipe composée de 59 membres dont les Vice-Premiers ministres, ministres d’Etat, ministres et vice-ministres. Traditionnellement avant de prendre possession des bureaux ministériels et/ou de la Primature, le Chef du gouvernement Bruno Tshibala Nzenze doit présenter son programme devant les élus nationaux, conformément aux dispositions constitutionnelles, dont l’article 90 alinéa 4 qui stipule « Avant d’entrer en fonction, le Premier ministre présente à l’Assemblée nationale le programme du Gouvernement » et 91 alinéa 5 « Le Gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale dans les conditions prévues aux articles 90,100, 146 et 147 ».
Sur base de ces dispositions constitutionnelles, l’actuel Premier ministre issu de l’Accord de la Saint-Sylvestre se présente ce matin à la chambre basse du parlement, pour obtenir son investiture, non des Evêques de la Cenco, mais des élus du peuple souverain, devant leur conscience nationale pour approuver ou pas le programme de Bruno Tshibala.
Des défis de taille
Sans nul doute, les actions prioritaires qui attendent Bruno Tshibala sont notamment les défis économiques, sécuritaires et électorales. Du point de vue économique et financier, le gouvernement précédent avait indiqué que l’économie congolaise traverse une période très difficile. En effet, après une croissance moyenne de 7,8% entre 2010 et 2014, avec un pic à 9,5% en 2014, celle-ci a ralenti en 2015, se situant à 6,9%, avant de décrocher en 2016, s’établissant à 4,3%, suivant les données officielles à fin juin.
Sans nul doute, soutient la Banque Centrale du Congo, on devrait s’attendre à une situation bien pire à fin décembre 2016, au regard de la poursuite de la dégradation de l’environnement économique actuel. Certaines sources parlent d’un chiffre en deçà de 3%, avec des conséquences budgétaires perceptibles.
Malgré la forte croissance économique enregistrée entre 2013 et 2015, la République Démocratique du Congo n’a pas connu de réduction significative du taux de pauvreté.
Faute de croissance inclusive, et en l’absence de mécanismes efficaces de redistribution de la richesse à la population, la forte croissance basée sur l’augmentation de la production minière exportée, n’a pas permis, loin de là, de construire une dynamique durable. Les Congolais n’ont pu ni accroître la consommation, ni épargner, ni encore investir. Pire encore, selon la Banque mondiale, la forte croissance passée dans les secteurs des ressources naturelles, n’a pas permis, ni d’augmenter significativement les recettes fiscales, ni d’accumuler d’importantes réserves en devises. Comme conséquence logique, la République Démocratique du Congo subit aujourd’hui de plein fouet, la chute des cours mondiaux des matières premières.
De ce fait, la production minière sur laquelle reposait la croissance a fortement ralenti, et les exportations ont évidemment suivi la même tendance, alors qu’elles représentent 95% des recettes d’exportations. Il en va de même de la baisse des exportations. Cela réduit les échanges commerciaux et impacte la balance des paiements. La conséquence logique est d’une part, la chute de ses réserves de change, et d’autre part, la dépréciation de la monnaie nationale par rapport au dollar américain.
En effet, nos réserves de devises ont dangereusement baissé, passant de 1,744 milliard de dollars américains en 2013, à 881,3 millions USD au 5 décembre 2016, couvrant moins de quatre semaines d’importations. Quant à notre monnaie nationale, restée stable pendant les années de forte croissance, entre 2009 et 2015, elle a par contre connu une dépréciation de près de 35% en une année. Aujourd’hui, la monnaie locale perd de sa valeur s’échange à 1.410 Fc le dollar, soit 141.000 Fc/100 dollars américains.
Les facteurs de la crise économique en RDC
A en croire le Gouvernement Samy Badibanga, les facteurs qui ont joué en faveur de la présente crise, à savoir : l’absence de programme formel avec les partenaires de Bretton Woods, qui a empêché la RDC de bénéficier d’appuis budgétaires, pourtant prévus dans les différentes lois de finances successives depuis 2012 ; la faiblesse du rendement fiscal, due aux insuffisances de la réforme de la TVA, et l’accumulation de la dette de l’Etat aux entreprises qui l’ont payé en amont, situation qui a affaibli les opérateurs économiques ; la baisse des crédits à l’économie compte tenu des taux bancaires, élevés et variés, selon qu’il sont en francs congolais ou en dollar américain et ce, malgré la baisse du taux directeur à 2%, remonté à 7% à ce jour ; l’exécution du budget de l’Etat en violation constante de la loi de finances publiques, en dépassement injustifié pour certains postes, avec une augmentation sensible des dépenses exceptionnelles. Le secteur privé est, lui, étranglé par le non-paiement de la dette intérieure, par la persistance des tracasseries, et la création de nouvelles taxes dans des provinces. Quant aux entreprises publiques, leur réforme s’avère difficile à entreprendre. Un défi, pas de moindre qui attend encore le Gouvernement Bruno Tshibala, lorsqu’on sait qu’il y a des entreprises dites canards boiteux.
C’est pour cette raison qu’il est indispensable de bien identifier les causes de la situation dans laquelle se trouve la République Démocratique du Congo, pour appliquer les remèdes à la crise économique et sociale. Ce sont trois faiblesses structurelles de l’économie congolaise, qui n’ont pas été corrigées pendant les années de forte croissance, notamment l’absence de diversification de l’économie congolaise, qui est encore fondée sur l’exportation de matières premières brutes. Pourtant, pendant les années de forte croissance, l’Etat congolais aurait dû développer l’agriculture, à fort potentiel de création d’emploi, et de valeur ajoutée ;
Il en va de même de la difficulté à mobiliser les ressources nationales, au service de notre développement, donc l’inefficacité de notre système fiscal qui, en raison de son illisibilité et de sa complexité, ne parvient pas à élargir l’assiette fiscale. Les recettes de notre budget n’augmentent pas, et, notre budget est en chute libre, à 5.700 milliards CDF ;
Enfin, c’est l’absence de redistribution de la croissance à la population, seuls moyen de lancer une dynamique de croissance inclusive et durable. Ces mécanismes, qui auraient permis à la population de relancer sa consommation, mais aussi d’épargner et d’investir dans l’économie, soit ne fonctionnent pas, soit ne sont pas en place.
Il faut dire que ces trois faiblesses structurelles, sont exacerbées et perpétuées par la corruption, la fraude et la contrebande, qui détruisent la confiance des Congolais dans leurs institutions et la classe politique, et détournent les richesses nationales des actions d’intérêt général. En tenant compte de l’impact des sérieuses difficultés sociales, que connaissent les congolais, ces trois facteurs appellent à des mesures appropriées, pour y remédier dans les meilleurs délais.
Ces mesures, qui permettront de construire la résilience à long terme de notre économie, constituent notre programme économique intérimaire.
Il jette les bases de notre développement durable, fondé sur une croissance inclusive. De ce qui précède, la politique du Gouvernement Tshibala doit être lisible. C’est seulement si elle est claire et compréhensible, qu’elle pourra être partagée et mise en œuvre par la population, les agents de l’Etat, les acteurs de la société civile, et les opérateurs économiques. Pour parvenir à la solution, son Gouvernement doit tenir compte de trois facteurs importants, notamment la Diversification, la Mobilisation, et Redistribution.
La sécurité et l’organisation des élections, un casse-tête
Nul n’ignore que la question électorale divise souvent les acteurs politiques, partant de la confusion qui règne au sein de la classe politique. La Ceni qui, à jour est à 25 millions d’enrôlés outre les aires opérationnelles K, c’est-à-dire Kwango, Kwilu, Kinshasa, Maï Ndombe et Kongo Central en plus des provinces issues du Kasaï-Occidental et Oriental en proie à la violence éthique, le Gouvernement qui présente son programme d’action, doit tenir compte de ces défis aussi majeurs qu’indispensables quant à l’organisation des élections d’ici décembre 2017, suivant l’Accord politique issu des discussions du Centre interdiocésain, tandis que celui de la Cité de l’Union Africaine, la tenue des élections combinées( présidentielle, législatives nationales et législatives provinciales) est prévue pour le mois d’avril 2018. Somme toute, la Ceni est face à la réalité financière pour mener à bon port son processus électoral.
De la sécurisation des élections par la neutralisation des miliciens de Kamwina-Nsapu dans les provinces issues des deux Kasaï, une réalité qui attend Bruno Tshibala, d’autant plus que, d’aucun admet que son Gouvernement est le dernier jusqu’à la date butoir de l’organisation des élections, en République Démocratique du Congo.
Cependant, du point de vue diplomatique, la politique du Gouvernement Tshibala doit poursuivre les bonnes relations avec les deux administrations occidentales, issues des élections de novembre 2016 aux Etats Unis et celles de mai 2017 en France, respectivement Donald Trump et Emmanuel Macron. Deux partenaires importants de la République Démocratique du Congo. Il en est de même de consolider la coopération bilatérale, multilatérale avec certains pays, dans les domaines économique et industriel, voire agropastoral susceptible de créer de l’emploi.
Avec une majorité confortable à l’Assemblée nationale, Bruno Tshibala qui n’est pas un élu du peuple, est sur la bonne voie pour que son programme d’action soit approuvé par l’ensemble des représentants du peuple souverain, et qu’une fois la crise qui a tant duré laisse la place au développement.
(Pius Romain Rolland)