Hier devant les députés nationaux, le Premier ministre Samy Badibanga a présenté, conformément à l’article 90 de la Constitution, le programme du Gouvernement en vue de son investiture. Un Gouvernement qui a pour mission de réaliser les objectifs lui assignés par le Président de la République, notamment consolider la cohésion nationale, organiser les élections et répondre à la crise économique et sociale. Par rapport à l’organisation des élections, le Premier ministre a rassuré de sa détermination à réunir les fonds nécessaires, d’une part en mobilisant les ressources nationales et d’autre part, en recherchant l’appui des partenaires internationaux de la RDC. Mais bien avant l’investiture de ce Gouvernement, des préoccupations pertinentes ont été soulevées par les députés nationaux, en vue de recevoir les réponses du Chef de l’Exécutif national. C’est ainsi qu’il a sollicité et obtenu une pose d’une heure, ce qui lui a permis d’accepter les remarques et conseils, et de répondre aux questions pertinentes. Ses réponses étaient regroupées en six points. Il s’agit des préoccupations d’ordre politique et sécuritaires, électorales, territoriales et décentralisation, lutte contre la corruption, économique et social et chiffrage, chronogramme et financement du programme.
Par rapport aux préoccupations d’ordre politique et sécuritaire, le Premier ministre a encouragé les négociations directes et a proposé la mise en place d’un cadre permanent de suivi des conflits sécuritaires. Concernant les élections, il a précisé que son Gouvernement a reçu de l’accord de la Cité de l’Union Africaine un mandat d’une année et quatre mois. C’est ainsi qu’il a proposé la constitution d’une tripartite entre le Gouvernement, la CENI et les partenaires. Et ce, dans l’objectif d’évaluer chaque mois le processus électoral. Au sujet des préoccupations d’ordre territoriale et décentralisation, il a insisté sur la nécessité de faire le suivi des clés de répartition des rétrocessions et un rapport sera exigé chaque mois aux provinces, sans oublier le fait que les envoies des fonds devront reposer sur des justificatifs et la rigueur reste de mise. En ce qui concerne la lutte contre la corruption, Samy Badibanga a souligné le respect de la loi sur les marchés publics, la déclaration des biens et des dossiers judiciaires seront ouverts à charge des détourneurs de deniers publics. Dans le domaine économique et social, l’attention du Gouvernement sera focalisée sur la publication des mesures urgentes de relance de l’économie nationale, avec un accent particulier sur la monnaie nationale. Pour répondre à la question du chiffrage du programme du Gouvernement, le Premier ministre a dit qu’il avait préparé une présentation sous forme d’orientations générales, et que le budget 2017 à venir entrera en détail. Il est revenu sur la relance des pourparlers avec le Fonds monétaire international (FMI) pour la mobilisation des appuis budgétaires. Il a terminé en promettant d’intégrer toutes les contributions formulées par les députés nationaux, avant de préciser que le programme n’est pas ambitieux, mais ce sont les défis qui restent importants. Et d’insister que les contrôles parlementaires et les recommandations de l’Assemblée nationale nous permettrons de réussir cette mission. « Vous n’êtes pas dans un camp et nous dans un autre », martèle-t-il. C’est par une motion d’approbation que l’Assemblée nationale a approuvé à la majorité absolue, le programme du Gouvernement de la République.
Une situation économique difficile
Entant qu’élu au même titre que les députés nationaux, le Premier ministre qui a les mêmes exigences et reflexes, a dit qu’il connaissait leurs attentes et celles du peuple. C’est ainsi, sans vouloir présenter un programme quinquennal, il a cependant avec l’ensemble de son Gouvernement, en un temps relativement court, l’ambition de marquer leurs empreintes sur des secteurs aussi prioritaires que vitaux de la nation. Il a par la suite aligné les actions à mener sur les plans sécuritaire, défense, coopération, décentralisation, etc.
Sur le plan économique, il a relevé que la production minière sur laquelle reposait la croissance, a fortement ralenti, et les exportations ont évidemment suivi la même tendance, alors qu’elles représentent 95% des recettes d’exportations. La baisse des exportations réduit les échanges commerciaux, et impacte la balance des paiements. La conséquence logique est d’une part, la chute de nos réserves de changes, et d’autre part, la dépréciation de la monnaie nationale par rapport au dollar américain.
Et d’enchainer que nos réserves de devises ont dangereusement baissé, passant de 1,744 milliard de dollars américains en 2013, à 881,3 millions USD au 5 décembre 2016, couvrant moins de quatre semaines d’importations. Quant à notre monnaie nationale, restée stable pendant les années de forte croissance, entre 2009 et 2015, elle a par contre, connu une dépréciation de près de 35% en une année.
Ceci étant, nous ne pouvons laisser sous silence, d’autres facteurs qui ont joué en faveur de la présente crise, à savoir: l’absence d’un programme formel avec les partenaires de Bretton Woods, qui nous a empêchés de bénéficier des appuis budgétaires, pourtant prévus dans les différentes lois de finances successives depuis 2012 ; la faiblesse du rendement fiscal, due aux insuffisances de la réforme de la TVA, et l’accumulation de la dette de l’Etat, aux entreprises qui l’ont payé en amont, situation qui a affaibli les opérateurs économiques; la baisse des crédits à l’économie compte tenu des taux bancaires, élevés et variés, selon qu’ils sont en francs congolais ou en dollar américain et ce, malgré la baisse du taux directeur à 2%, remonté à 7% à ce jour ; l’exécution du budget de l’Etat en violation constante de la loi de finances publiques, en dépassement injustifié pour certains postes, avec une augmentation sensible des dépenses exceptionnelles ; le secteur privé est, lui, étranglé par le non-paiement de la dette intérieure, par la persistance des tracasseries, et la création de nouvelles taxes dans des provinces. Quant aux entreprises publiques, leurs réformes s’avèrent difficile à entreprendre.
Trois solutions : diversification, mobilisation, et redistribution
Pour le Chef du Gouvernement, il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va. C’est pour cette raison, qu’il est indispensable, de bien identifier les causes de la situation dans laquelle se trouve notre pays, pour identifier les remèdes à la crise économique et sociale. Ce sont trois faiblesses structurelles de notre économie, qui n’ont pas été corrigées, pendant les années de forte croissance : Premièrement, c’est l’absence de diversification de notre économie, qui est encore fondée sur l’exportation de matières premières brutes. Pourtant, pendant les années de forte croissance, nous aurions dû développer notre agriculture, à fort potentiel de création d’emploi, et de valeur ajoutée; Deuxièmement, c’est la difficulté à mobiliser les ressources nationales, au service de notre développement, donc l’inefficacité de notre système fiscal, qui en raison de son illisibilité et de sa complexité, ne parvient pas à élargir l’assiette fiscale. Les recettes de notre budget n’augmentent pas, et, notre budget est en chute libre, à 5.700 milliards de CDF ; Troisièmement, c’est l’absence de redistribution de la croissance à la population, seuls moyen de lancer une dynamique de croissance inclusive et durable. Ces mécanismes, qui auraient permis à la population de relancer sa consommation, mais aussi d’épargner et d’investir dans l’économie, soit ne fonctionnent pas, soit ne sont pas en place.
« Ces trois faiblesses structurelles, sont exacerbées et perpétuées par la corruption, la fraude et la contrebande, qui détruisent la confiance des Congolais dans leurs institutions et la classe politique, et détournent les richesses nationales des actions d’intérêt général. En tenant compte de l’impact des sérieuses difficultés sociales que connaissent les Congolais, ces trois facteurs appellent à des mesures appropriées, pour y remédier dans les meilleurs délais. Ces mesures, qui permettront de construire la résilience à long terme de notre économie, constituent notre programme économique intérimaire », dit-il, avant d’ajouter qu’il jette les bases de notre développement durable, fondé sur une croissance inclusive.
Des actions concrètes
Pour relever tous ces défis, le Gouvernement propose des actions et mesures dans les secteurs suivants, qui lanceront la dynamique de diversification de l’économie. Il s’agit de l’agriculture, qui constitue immanquablement le premier secteur de diversification, est le levier le plus fort pour lutter contre la pauvreté et la faim. C’est le secteur le plus à même de créer rapidement de très nombreux emplois durables, pour la population, qui vit à 70 en milieu rural.
Concernant le secteur minier, celui-ci peut aussi contribuer de manière considérable, à la diversification de notre économie. En effet, le soutien à la «petite mine », à la «sous-traitance », par le renforcement du contenu local, ainsi que la transformation industrielle des produits miniers, sont autant d’opportunités de création d’entreprises, d’emplois, et de valeur ajoutée pour le pays. Bien évidemment, ceci exige la transparence, la bonne gouvernance, l’éradication de la corruption, de la contrebande, et de la fraude douanière qui alimentent l’insécurité dans de nombreuses régions.
Concernant les sociétés minières paraétatiques, Gécamines, MIBA et d’autres, le gouvernement s’engage à les redresser pour leur redonner leur plein impact économique et social. « L’essentiel, ici, est de faire en sorte que nos ressources naturelles, contribuent pleinement à notre développement économique, et à notre progrès social, dans le respect et la protection de notre environnement », souligne-t-il.
S’agissant du secteur de l’environnement, chacun est conscient ici, de l’enjeu national de protéger nos forêts et leur biodiversité, nos fleuves et rivières, pour la santé publique de la population, et pour préserver les atouts de notre avenir.
L’efficacité de la politique environnementale est en réalité, la condition de notre développement durable. Elle est aussi un enjeu planétaire dans la lutte contre le changement climatique, auquel notre pays est très exposé. L’accord de Paris sur le climat devra donc être mis en œuvre en particulier, car la transformation de l’économie qui en résulte, est une opportunité considérable de créations d’emplois. « Pour réussir à diversifier notre économie, nous pourrons compter, sur les réformes de libéralisation entreprises, dans les secteurs des services, notamment les télécommunications, les nouvelles technologies, les assurances, et l’énergie », explique Samy Badibanga, qui estime que pour le secteur des banques et des assurances, le gouvernement va initier la création du Fonds de Garantie des Assurances, appuyer la mise en place du Fonds de Garantie des Banques, étudier la déductibilité des provisions des banques, et enfin accompagner la Société nationale d’assurances, SONAS dans sa restructuration.
Le Premier ministre a promis de poursuivre, par tous les moyens les responsables de détournements de fonds publics. Toutefois, et c’est là un obstacle majeur à la mobilisation de nos ressources, notre fiscalité est devenue complexe, illisible, imprévisible et inefficace. Et ce, malgré une forte pression fiscale, la mobilisation est très en dessous du potentiel fiscal minimal de la RDC, souvent évalué à 20 milliards de dollars. Si trop d’impôt tue l’impôt, l’illisibilité de la fiscalité lui prive de son efficacité.
Or, augmenter les recettes budgétaires est notre défi permanent, pour donner à l’Etat les moyens de conduire ses politiques, et de payer des salaires décents aux enseignants, au personnel médical, aux forces de sécurité, aux militaires, aux magistrats et aux autres agents de l’Etat. A cette fin, le gouvernement travaillera à la simplification des règles fiscales, ainsi qu’à l’élargissement de l’assiette fiscale, par l’harmonisation et la baisse des taux de prélèvement.
Il a terminé par dire que parler de progrès n’a aucun sens si nous ne sommes pas capables, par des actions concrètes, de traiter l’urgence sociale. Ainsi, organiser la redistribution des richesses, aux oubliés de la croissance est possible, et c’est le devoir de nos institutions, et du gouvernement en particulier. Partager les fruits de la croissance, c’est mettre les richesses nationales, notamment les ressources naturelles, au service des besoins de la population et de son pouvoir d’achat.
Quant à la santé publique, qui constitue l’une des missions principales de l’Etat, et le troisième des objectifs de développement durable, nous avons le devoir d’assurer au minimum, la gratuité des soins aux enfants de moins de cinq ans, ainsi que la gratuité des accouchements sur l’ensemble du territoire. A cette fin, le gouvernement mobilisera les ressources nécessaires pour engager des programmes de financements, basés sur les performances, axés notamment sur l’équipement technique et énergétique des hôpitaux, et le soutien aux mutuelles de santé.
(Jean-Marie Nkambua)