Pour Lumumba, l’impérialisme est un ogre odieux qui dévore des innocents : les peuples colonisés, les négrifiés, et les tiers-mondisés ; pour M’Zee Kabila, la domination des autres par le colonialisme forcené est, ni plus ni moins, une entreprise satanique qu’il est moralement légitime et impératif de combattre.
Il n’y a point meilleur hommage à des personnalités authentiquement honorables que celui qui leur est rendu par des personnes usant de grande objectivité, se situant au-delà des rivages partisans et des clivages émotionnels. Pour ce qu’ils ont pensé, qu’ils ont fait, et qu’ils ont été, Laurent-Désiré Kabila et Patrice-Emery Lumumba ont été véritablement grands et doivent être associés, de façon légitime, à un même hommage scientifique.
En effet, la comparaison, ou l’identité, est quasi parfaite. Elle s’impose à l’esprit, comme de façon naturelle et irrésistible. Partageant une vision du monde politique commune, révolutionnaire, et une méthode d’action en maints points semblable, celle de franche et brutale sincérité face au même contexte néocolonial, Lumumba et Kabila étaient fatalement destinés à subir un sort semblable.
En tout cas, il ne peut et ne devrait pas, à la sensibilité humaine, ressortir du hasard que M’Zee Laurent-Désiré Kabila et Patrice Lumumba aient été assassinés quasi à la même date, le 16 et le 17 janvier, et pour une cause parfaitement identique, humaniste, noble.
Le destin a ses raisons, que la raison humaine a du mal à expliquer, à moins que les auteurs de l’assassinat de M’Zee Kabila aient parfaitement planifié sa mort pour la faire coïncider avec celle de qui il défendait et les idées et l’héritage politique.
Ce qui est clair et certain en tout cas, c’est que dans la pensée politique congolaise l’un et l’autre occupent une place importante. Et en Afrique tout comme dans le monde, la pensée de Lumumba a même conquis une force de conviction éminente, en tant qu’elle est chargée de compassion pour l’humanité, de désir de justice pour les colonisés, et de ferme volonté de liberté pour les opprimés du Congo, d’Afrique et du monde.
Tout combat contre la domination de la personne humaine est une lutte en faveur de la justice. Pour Lumumba comme pour Kabila, l’injustice est le mal radical, et que dans ses figures et dévastations les plus abominables, l’homme blanc apporte dans les sociétés africaines.
L’injustice, à travers la colonisation, la domination et la dépréciation cyniquement arbitraire des autres races, la race noire en particulier, résulte de la non-reconnaissance de l’altérité et de la dignité de l’homme, en dépit et au-delà de la couleur de la peau et de la différence des cultures.
Dans la pensée de Kabila, de Lumumba et de quiconque lutte contre l’impérialisme et la domination de l’homme par son semblable, refuser l’injustice c’est honnir l’immoralité dans le cœur de l’homme et dans la société humaine. L’assainissement des mœurs et des mentalités est donc un objectif prioritaire pour une société bien gouvernée. Kabila y attache un grand prix.
Comme sa pensée, son action est dénuée d’équivoque : la lutte contre la corruption et le détournement des biens publics est la voie qui mène à la pureté d’âme de la société, à l’élimination de la pauvreté, et à l’ascension de tous, collectivement, vers les cimes de la prospérité, de la puissance et de la dignité des citoyens et des nations.
Si la volonté de la liberté, de l’indépendance immédiate et totale, la détermination dans la lutte, la voix haute et directe d’expression de ses aspirations, exigences et volonté de vie font de Lumumba et de M’Zee Kabila des penseurs de gauche, alors nous sommes tous des hommes et femmes de gauche en tant qu’intellectuels penseurs revendicateurs de la liberté et des conditions de vie décentes pour tous dans la cité et dans le monde. Revêtus de la qualité d’intellectuels, nous sommes tous, que nous le voulions ou non, des socialisants, sinon des socialistes, doux ou durs.
Et c’est là que réside l’éminence humaine de Lumumba, comme de M’Zee Kabila. Incontestablement, et de manière admirablement déterminée, tous deux étaient ou sont – puisque nous leur assurons l’éternité terrestre – des combattants de la liberté, de l’humanisme, de la dignité de l’homme, au Congo, en Afrique et partout dans le monde.
Au-delà du souci politique, et dépassant les égoïsmes personnels, Kabila et Lumumba ont livré un combat glorieux, d’ordre moral, et dont la pertinence est manifestée, à l’unanimité des peuples opprimés et soucieux de justice, par des actes de sympathie énorme jaillis, nombreux, des âmes et cœurs divers à travers le monde entier.
Si la passion pour la décolonisation véritable, pour la restitution de la dignité à l’homme noir et à l’Afrique, est le signe d’une réelle grandeur humaine, comme Lumumba et M’Zee en ont fait montre avec une égale intensité, alors nous ne pouvons être des êtres humains, en totalité et en vérité, que si nous agissons comme eux, que s’il y a de la place et de la trace du Lumumba et du M’Zee Kabila dans nos cœurs et dans nos actes, dans nos projets et dans nos attitudes, dans nos dires et dans nos actions et comportements vis-à-vis des autres et de la patrie.
Si le feu patriotique dévorant, tel qu’il le fut dans le cœur de Lumumba, tel qu’il l’était dans l’âme de M’Zee, est légitime comme souci de l’autre, du compatriote, du bien de notre mère et commune patrie, alors il faut honorer la noblesse d’âme et la générosité sacrificielle de Lumumba et de Kabila.
Car, devant la gueule terrible largement ouverte du capitalisme-crocodile, sans cesse avide de proie et de nourriture, tous deux savaient plus ou moins clairement à quoi ils s’engageaient et s’exposaient en prenant le risque de la parole franche et haute. Tous deux savaient que le salut de la patrie et des compatriotes était leur mission unique et suprême.
Et tous deux étaient persuadés que la victoire est au prix des souffrances voire du sang et du sacrifice de quelques-uns, d’un petit nombre de personnes déterminées, courageuses, confiantes en elles-mêmes et convaincues, comme eux, de la noblesse de la cause qu’elles ont à défendre, et de l’énorme bénéfice devant être engendré pour tous par les souffrances qu’elles ont ou auraient à endurer.
Pour Lumumba, l’impérialisme est un ogre odieux qui dévore des innocents : les peuples colonisés, les négrifiés, et les tiers-mondisés ; pour M’Zee Kabila, la domination des autres par le colonialisme forcené est, ni plus ni moins, une entreprise satanique qu’il est moralement légitime et impératif de combattre, avec force détermination, sans jamais fléchir, ni trahir, fût-il durant de très longues années de sueur, de privations, de traques par les forces dictatoriales, bref, de souffrances et d’errances infinies à travers les forêts et patries étrangères.
Pour M’Zee, la survie du Congo et de l’homme noir dans le monde ne sera garantie que par la mise à mort de l’ordre impérialiste, tâche qui impose la prise en charge de soi par soi-même ; pour Lumumba, le Congolais et, à travers lui, l’Africain, ne parviendront à leur pleine humanité et à la vie digne que par la déprise totale de l’emprise des griffes néocoloniales occidentales, radicalement inhumaines, outrageusement païennes, antiévangéliques de façon cynique et terrible.
Pour Lumumba, l’acte d’écriture de sa propre histoire par soi-même, ou la responsabilité de se dire soi-même à soi-même ce qu’on est et ce qu’on doit être, loin des caricatures et mensonges coloniaux préfabriqués pour conforter l’œuvre impérialiste et ravageuse des richesses humaines, matérielles et culturelles du Congo, d’Afrique et du tiers-monde, est un acte salvateur de l’homme au Congo et en Afrique.
La décision de demeurer soi-même, dans sa propre identité, selon la vérité des consciences et des choses signifiée par la sincérité de la cause soutenue, de l’intention d’être soi comme dignité, bref, de la prise en charge de son histoire et de son destin, est une exigence morale absolue, universelle, et noble.
Pour M’Zee Kabila, la prise en charge de soi par soi-même, à partir d’une conscience claire de ce qu’est le monde, de ce qu’on est dans le monde et de ce à quoi il est légitime d’aspirer dans ce monde, constitue une nécessité fondamentale, et l’exigence d’une organisation rationnelle et rigoureuse de ses forces, de ses potentialités, de ses moyens et méthodes d’action culturelle, politique et économique, ainsi que la détermination inébranlable à lutter contre les ennemis sans cesse présents, même apparemment absents, constituent un passage obligé sur la route de la liberté.
C’est la voie qui conduit à la victoire, à la puissance et au respect de soi par les autres, par l’ennemi prédateur constamment à l’affût, guettant le moindre moment approprié, celui de la distraction ou de la somnolence, pour nous attaquer, nous dépecer à sang et nous dévorer de ses dents inexorables, intraitables.
Le capitalisme sauvage, à la fois ploutophage et anthropophage, mangeant les richesses matérielles et humaines des autres nations – celui en tout cas appliqué au Congo belge contre le Congolais depuis le mode d’exploitation léopoldien – est une bête féroce tout autant « ploutovore » qu’« homovore », je veux dire, décidément omnivore.
Pour M’Zee, il n’est pas nécessaire de se faire arrimer au capitalisme sauvage pour exister comme nation et comme individualité, comme peuple civilisé et comme être de gloire ; pour Lumumba, il est logique et humain de rendre au colonisé sa pleine liberté pour exister vraiment comme personne humaine.
Tel est, en substance, le message de l’un et de l’autre. Une pensée congruente, convergente, quasi unique ; c’est, en fait, pensée de Patrice Lumumba assumée, continuée et enrichie par Laurent-Désiré Kabila. L’exigence morale, humaniste, que cette pensée affirme, de manière intransigeante, dérangeant des conforts chrétiens occidentaux faits de prétentions civilisatrices, et amenant des démangeaisons dans la peau de l’impérialisme raciste, a conduit l’un et l’autre, Lumumba et Kabila, pour le salut de la patrie, à subir le martyre, à cueillir la coupe du sacrifice, à verser de leur sang précieux, sacré.
Même quand elle n’est pas dite face à l’injustice ou à la domination, cette pensée indécrochable loge en nous, conseille nos souffrances, circule dans le silence de notre sang noir en ébullition certaine, même différée.
Même quand les temps auront passé, amenuisant nos mémoires, notre mémoire, cette pensée, toute pleine de pertinence, de justesse et de valeur, continuera à vivre dans les méninges de nos têtes réfléchissantes attendant, en « réserve stratégique », de nourrir les actions révolutionnaires de nos ventres affamés, de nos corps noirs méprisés, de notre humanité déniée.
Même quand les autres, prédateurs impénitents, s’efforceront d’effacer et de dénaturer les traces de leur histoire, de notre histoire, dans l’espace public africain et dans la pensée politique congolaise, Lumumba et Kabila ne cesseront de projeter en grand et au grand jour la belle image de jumeaux parfaits l’un et l’autre, car l’un est l’autre, l’autre est l’un. Il est digne que Lumumba soit honoré. Il est honorable que M’Zee soit dignifié. C’est une exigence, et doit se faire par toutes les formes possibles d’engagement patriotique.
L’érection de monuments remarquables, mausolées et statues monumentales, ainsi que l’inscription des noms des personnages illustres dans les rues, avenues, bâtiments, places publiques et autres objets de haute marque sont, incontestablement, d’admirables manifestations de dévotion et de fidélité à l’égard des héros. Mais, même éminentes, ces volontés de souvenir demeurent des symboles.
Le symbole ne suffit pas. Le vrai et grand hommage que l’on puisse rendre à des personnalités remarquables est l’effort constant, à réaliser aussi bien par le peuple que par les dirigeants politiques, de suivre fidèlement leurs traces, de se comporter comme elles l’auront fait et demandé, et de faire épanouir dans la cité les valeurs qu’elles ont incarnées.
Dans le cas d’espèce, la manière la plus appropriée, la plus efficace et la plus digne pour honorer nos frères, ces héros martyrs morts pour notre salut, c’est d’être Lumumba et d’être M’Zee Kabila. C’est de devenir et demeurer de réels patriotes à tout moment et en toute circonstance, en refusant l’injustice à l’égard de nos compatriotes, et en bannissant nos sombres, basses et ignobles coutumes de ruses, d’égoïsmes, de prédation, de corruption, de vols, de violations insensées de nos propres lois, de détournements continuels des biens et deniers publics, biens de nous tous, fils et filles de l’Etat congolais, biens de notre patrie commune.
Les leçons à tirer de cette pensée, vécue en actes, sont là, évidentes. Au soir comme au matin, il nous faut réfléchir, constamment, en un examen de conscience profond, non complaisant, rigoureux, et nous engager avec détermination dans une quête prospective, pour bien savoir ce qu’il nous faut faire pour honorer valablement ces héros, pour nous conformer aux valeurs et vertus qu’ils ont incarnées, pour être réellement, efficacement et sincèrement au service de nos compatriotes, de la patrie, que nous devons porter à la prospérité, à la puissance et la gloire, comme le font les autres nations du monde.
Comment pouvons-nous révolutionner notre attitude et orienter notre comportement pour que nous suivions de manière fidèle les leçons majeures de vertus morales de courage, d’honnêteté et de patriotisme que Kabila nous a laissées ?
Que devons-nous faire, quotidiennement, dans nos milieux de vie, de travail, ici et ailleurs, pour que nous ne puissions jamais rien voler des biens d’autrui, ceux de la République ? Que faire pour que nous puissions posséder et entretenir en nous le sens des responsabilités, du patriotisme, de la compassion pour les humbles compatriotes souffrant de privations, de pauvreté, de faim, de misères à cause des actes d’injustices que nous commettons ? Que devons-nous faire pour que nous puissions demeurer sans cesse résistants, et que nous puissions à jamais sortir de nos comportements maléfiques de crimes économiques sans pitié qui font souffrir les compatriotes et qui font reculer le développement de la patrie ? Que faire pour que nous cessions de trahir notre patrie, le Congo, en le livrant par notre démission et par nos complicités avides en proie à des prédateurs économiques étrangers et nationaux, externes et internes, lointains et proches, cachés dans l’ombre et/ou œuvrant impunément à ciel ouvert ?
Quiconque se livre à la dictature assassinant les libertés humaines et la démocratie politique, ou s’adonne à des crimes économiques de détournement des biens communs et d’enrichissement colossal illicite en abusant de sa position de pouvoir n’est ni digne d’évoquer au grand jour le nom de Lumumba, ni autorisé à se blottir derrière l’immense symbole d’honnêteté et d’amour de la patrie de M’Zee Laurent-Désiré Kabila.
Pour le salut de la patrie, unis dans une même vision politique, confronter et affronter les mêmes peines et le même destin tragique, s’il le faut, dans la solidarité et la justice : c’est la voie authentique tracée par ces deux grandes personnalités politiques, que nous sommes tenus de porter dans nos cœurs et d’honorer, en actes plus qu’en paroles !
MMC/Prof. NGOMA-BINDA/Université de Kinshasa/Citaf