MOT DE JULIEN PALUKU, A L’OCCASION DU VERNISSAGE DU LIVRE

MOT DE JULIEN PALUKU, A L’OCCASION DU VERNISSAGE DU LIVRE 

GOMA, 17 décembre 2016

 

– Eminents Professeurs ;
– Honorables Députés ;
– Mesdames et Messieurs les Ministres Provinciaux ;
– Messieurs les Membres du Comité Provincial de Sécurité ;
– Distingués invités, Mesdames et Messieurs ;

Que dire encore après ces présentations magistrales et commentaires des éminents Professeurs, si pas seulement vous souhaitez bonne lecture et vous dire, de vive voix, merci pour votre présence en ce lieu à l’occasion de cette cérémonie éminemment scientifique. Tous ces commentaires empreints des témoignages me vont tout droit au cœur et m’encouragent.

En fait, le livre pour lequel nous sommes là ce matin et que j’ai intitulé passionnellement « LE NORD-KIVU ENTRE DEMOCRATIE ET GUERRES. Eléments des mémoires de Julien PALUKU KAHONGYA » est, à certains égards, autobiographique, puisque, dans sa première partie, j’y raconte dans quel contexte et comment j’ai été élu Gouverneur. Au-delà de quelques sujets centraux et périphériques liés à mon parcours du Député au Gouverneur, aux relations entre l’exécutif provincial et l’Assemblée Provinciale, à mes discours et présentations, le cœur de l’ouvrage porte globalement sur le combat du Gouverneur dans une province toujours en haleine.  

Comme le lecteur au contact de cet ouvrage le remarquera d’emblée, dans sa première partie, j’ai utilisé un style réservé au roman. C’est peut-être là où se situerait la  spécificité de la présente œuvre dont les quelques lignes sont écrites comme si je faisais manifestement partie des écrivains qui écrivent tout simplement les livres qu’ils ont eux-mêmes envie de lire.  

Distingués invités, Mesdames et Messieurs ; 

Ce livre de 893 pages est illuminé de mon expérience, de mon parcours et surtout des moments percutants de la guerre. Un livre, c’est comme un enfant, il a un père, il a un parcours, il subit les aléas et les intempéries de l’environnement. Autant il est difficile de vivre une réalité, autant il devient difficile de la transmettre, parce qu’il faut opérer un choix entre la part intime et la part universelle, c’est-à-dire, ce qui appartient à l’humanité et qui passe par soi. Un livre n’a de sens que s’il renforce l’humanisme, s’il contribue au renforcement du savoir. Et si aujourd’hui je me suis autorisé d’écrire cette expérience, ce n’est sans doute pas pour faire un roman, ou encore amuser qui que ce soit, mais c’est une quête pour que chacun de vous retrouve dans cette expérience l’universel.

Et pour le nôtre, nous avons choisi, volontiers, le Prof SEGIHOBE, Recteur de l’UNIGOM et Président de la conférence des chefs d’établissements de l’ESU pour donner sa structure. Un livre doit être porté sur les fonts baptismaux, et celui qui le fait, avec honneur, pour notre ouvrage c’est Daniel MUKOKO SAMBA, Professeur à l’Université de Kinshasa et Vice-premier Ministre et Ministre honoraire du budget. Quel bon augure pour ce livre ? Peut-être aussi pour moi-même ? Et bien, à côté de ces deux professeurs, je salue tous les autres éminents Professeurs présents dans cette salle, particulièrement le Prof Wasso qui vient de faire son analyse du livre en sa qualité de constitutionnaliste.

Je leur adresse mes remerciements les plus sincères pour avoir accepté spontanément de rehausser de leur présence cette cérémonie de vernissage de mon ouvrage. Ça me va tout droit au cœur et j’en suis particulièrement flatté, car cela  témoigne de l’intérêt particulier que vous accordez aux œuvres de l’esprit.

Mon grand souci serait que mon témoignage soit versé même modestement à l’expérience nationale de liberté et de dignité. Le temps et l’espace nous séparent. Certains sont nés là-bas, d’autres ici, confrontés à des expériences, sans doute différentes, et vivent leurs différences. La grande conquête de l’homme, c’est de se reconnaître dans l’autre. Ainsi nous atteindrons ensemble la force de l’esprit qui est lui en dehors du temps et de l’espace. II est le lieu de convergence et de ressemblance.

Distingués invités, Mesdames et Messieurs ;

Quel est au juste le contenu de l’ouvrage, se demandent certains d’entre vous ? Comme vous pouvez l’avoir constaté à travers la présentation du livre fait par le Prof SEGIHOBE ainsi que les commentaires dU constitutionnaliste Prof WASSO, l’ouvrage qui vient d’être porté sur les fonts baptismaux ce jour comporte onze chapitres repartis, pour des raisons de l’approche que j’ai choisie, en deux parties. 

Dans sa première partie, intitulée « LE COMBAT DU GOUVERNEUR » et qui comporte un seul chapitre, je parle des premiers pas de la démocratie mis à l’épreuve. Ici je relate mon parcours tumultueux du Député au Gouverneur avant de remonter comment, en ma qualité de Gouverneur, j’ai été à l’épicentre du jeu du pouvoir avec l’Assemblée provinciale dans un contexte des « tâtonnements » rythmé parfois par les moments de guerre. Il s’agit bel et bien de l’apprentissage difficile de la démocratie naissante entre « apprentis ». Par apprentis, j’entends ici les membres du Gouvernement Provincial et les Députés Provinciaux qui sont tous à leur premier exercice. Les uns ont difficile à élaborer les budgets car sans référence aucune. Et même les textes sur la décentralisation n’existent pas. Seul le bon sens guide les acteurs car les premières lois de mise en œuvre de la décentralisation sont promulguées 18 mois plus tard. D’autres, par contre, trouvent « des animaux des laboratoires » sur lesquels ils tentent d’expérimenter les médicaments appelés ici motions, tantôt de défiance, tantôt de censure peut être même sans en comprendre tout le sens. Ainsi, la marche est presque à dents de scie comme vous allez le découvrir dans quelques pages de ce livre. Je termine cette partie par une section très épique où je fais un récit des moments percutants de la guerre contre le CNDP et le M23. Ici, je place le lecteur sur le terrain de combat comme s’il y était lui même.

Dans la deuxième partie, intitulée « Anthologie des discours et réflexions de Julien PALUKU », considérée aussi comme une autre forme de combat que j’ai mené sur tous les fronts, je montre, à travers mes présentations que je suis monté, plusieurs fois, sur le toit pour faire entendre ma voix et celle de la population. J’ai parfois crié dans un environnement où dominent des idéologies centralisatrices. J’ai élevé ma voix vers les nations du monde en pleine guerre. La gorge à sec, j’ai épuisé mes discours. 

En effet, nous l’avons compris, la vie publique offre de multiples occasions de s’exprimer. Ce qui tient pratiquement plus du rituel que de la véritable communication où il faut convaincre, accueillir, remercier, ordonner, partager une idée,  transmettre un savoir, échanger sur un projet, faire face à une situation de crise,  partager des convictions politiques ou séduire son interlocuteur. Bref, le discours c’est tout un art. J’ai donc jugé nécessaire de rendre disponible un recueil de mes discours et réflexions afin de permettre à l’observateur de l’apprécier 5, 10, 30 et même 40 ans plus tard pour confronter la perception que j’ai aujourd’hui de celle que j’aurai quelques années après. En fait, sous d’autres cieux, le recueil des discours ou des œuvres littéraires est souvent élaboré par des tierces personnes. Ces genres d’exercices sont faits longtemps après la mort d’un acteur à tous les niveaux de la vie politique, sociale, littéraire, religieuse ou artistique ; car c’est assez souvent après avoir perdu un être cher que ses phrases retentissent çà et là, peut-être pas avec les mêmes mots originels.

Ainsi, le lecteur  trouvera quelques discours et réflexions regroupés dans des intitulés des chapitres et titrages des thèmes comme : décentraliser à tout prix malgré une culture centralisatrice ; la décentralisation ne se donne pas, elle s’apprend et se construit ; la décentralisation à l’épreuve du terrain : les ratés présents et futurs ; les ETD à l’école de la gestion axée sur les résultats ; à l’école de la gestion des investissements en province et dans les ETD ; les maitre-mots pour mobiliser les moyens : maximiser les recettes et lutter contre la corruption ; parler « développement » en pleine guerre ; jeu de charme pour attirer les investissements malgré la guerre ; réfléchir sur le développement malgré la guerre ; miracle consolateur ou bilan en main sans convaincre. 

Dans un autre chapitre intitulé « monter sur le toit pour être entendu », en penseur libre, je m’engage sur le combat des conférences pour convaincre, je prêche la paix et la cohabitation pacifique aux « diablotins maison », j’évoque la paix sanglante et le contexte dans lequel la paix éphémère l’emporte sur la justice ; je crie pour être écouté en lançant parfois des SOS et alertes par rapport à la situation sécuritaire ; je me demande quelle Troïka pour BENI ; je parle des « anges et pèlerins » à la rescousse pour déplumer les « vampires » face à la guerre dans la section intitulée « la gorge à sec pour la paix et la sécurité » ainsi que des diplomates de l’ONU qui deviennent des  « ambassadeurs » du Nord-Kivu ; j’insinue sur la contingence humanitaire pour sauver les vies humaines.

 

En outre, je planche sur l’obligation de rendre compte  à travers mes discours bilan où je souligne le bilan du premier quinquennat qui coïncide avec la « fin d’un mandat » ainsi que le bilan du « séjour » du M23 à Goma. Je me suis également appesanti sur le renfort du 4ème  pouvoir : ça fâche et ça passe ! Dans le huitième chapitre portant sur « le terrain politique glissant : Réfléchir autrement et se soutenir par les mots », je fais parler  le BUREC tout en le situant dans le microcosme politique congolais : A Droite ou à Gauche ?; je réfléchis à haute voix sur la RDC, pays des transitions en se demandant Quid 2016 ?

 

Dans le chapitre portant sur « sortir des pesanteurs du passé », j’encourage les opérateurs de l’environnement écologique ; je parle du renforcement de l’éducation pour accompagner le germe de demain ; je parle également du spirituel et du culturel. Dans l’avant dernier chapitre intitulé « entre deux combats : Une fête et un anniversaire pour remémorer le passé », j’accorde une attention sur les fêtes nationales, les messages des vœux, les journées internationales ainsi que les compliments et dédicace à l’occasion de l’anniversaire de naissance de certaines personnalités pas les moindres. Enfin, dans le dernier chapitre intitulé « mourir pour la noblesse », à l’occasion de la mort de certains personnages en Province, je fais allusion aux « Deux Moises » en marche vers Canaan où Mamadou s’en va à la fleur de l’âge et où lorsque BAHUMA s’en va les ADF se frottent les mains ! Dialectisant sur la mort de l’Abbé Malumalu, je parle du travail dur qui, paradoxalement ennobli et constitue  en même temps un suicide involontaire. J’évoque la mort des journalistes et des casques bleus à travers « maintenir la paix pour mourir ou informer l’opinion pour mourir » avant d’insinuer sur l’héritage d’un combat à travers la mort des autres. 

Distingués invités, Mesdames et Messieurs ;

La nation congolaise a dû faire l’apprentissage d’une grande leçon de l’histoire : la démocratie comme le développement ne peut reposer sur une génération spontanée, elle n’est pas dans l’ordre naturel des choses. Elle n’est pas non plus le résultat des beaux discours, encore moins des slogans. Elle doit être voulue et désirée ardemment afin d’amener les dirigeants à opérer des choix en dehors des sentiers battus. Ces choix sont souvent faits de renoncements personnels au profit du bien commun. Ils exigent souvent de naviguer à contre-courant, de faire des arbitrages courageux entre la voie de la facilité, du conformisme et celle du changement. 

A travers cet ouvrage, j’ai voulu rappeler une sagesse de vie que l’écrivain américain Robert FROST résume parfaitement, je cite : « Deux chemins s’ouvraient à moi dans le bois. J’ai choisi de suivre la voie la moins empruntée, et cela a fait toute la différence ! »

C’est cet engagement original qui m’a animé et a fait qu’à travers certains passages de cet ouvrage, je transmets une sorte de flamme en toute honnêteté et sans démagogie. Car, il est important pour chacun d’entre nous de prendre conscience des exigences induites par les enjeux de la paix, de la démocratie, du développement, de la communication ou encore de la guerre. 

En réalité, il nous est donné à tous, à un moment donné de nos vies, d’assumer notre part de responsabilité sur le long, laborieux et exaltant chemin de notre nation. Ces moments viennent une fois dans la vie, et il vaut mieux ne pas passer à côté. Dans la conduite de l’action publique en province du Nord-Kivu, mon aspiration a toujours été de contribuer à inscrire la province dans une trajectoire de changement historique par la volonté, l’optimisme et parfois l’audace. Fort de ces certitudes, je me suis appuyé sur la sagesse humaine qui veut qu’un voyage de 1000 kilomètres commence par le premier pas.

Ceci exige de nous, intellectuels, acteurs politiques, sociaux ou économiques, de bâtir un véritable consensus, au-delà des courants et des divergences idéologiques, sur les processus décisionnels et la masse critique des réformes auxquelles nous devons nous astreindre dans la durée. Comme le dit une sagesse africaine, je cite : « Seul, on court plus vite, mais ensemble on court plus longtemps et plus loin ! » Il s’agit d’éviter de tomber dans le cercle vicieux de la contestation gratuite, du perpétuel recommencement, voire du retour en arrière à l’occasion des crises politiques. D’autres nations ont bâti leur développement comme leur démocratie en plusieurs siècles en capitalisant la trilogie « SAVOIR-POUVOIR-AVOIR ». Pour nous, ce qui a pu être fait hier et aujourd’hui devra être préservé pour constituer la pierre angulaire de nos actions et de nos efforts dans la longue marche résolue vers l’émergence menée sous le leadership du Président de la République. Dans tous les cas, l’heure n’est pas au relâchement ni à la satisfaction. 

Pour terminer, Mesdames et Messieurs, je voudrais dire à nous tous que les meilleurs secrets pour le progrès personnel et des nations se trouvent dans les livres. C’est dans les ouvrages que les hommes les plus éclairés cachent le mystère de leurs réussites ou de leurs trouvailles. La lecture est donc un fonds d’investissement porteur de bonheur et d’indépendance d’esprit.

Julien PALUKU KAHONGYA.