Octobre 2000 en France, alors en plein exercice de son premier mandat présidentielle, Jacques Chirac obtient la révision de la Constitution qui ramène la durée du mandat de 7 à 5 ans. Ce qui lui rapporte, ipso facto, la possibilité de briguer encore deux mandats, mais Chirac décline de lui-même sa représentation en second mandat de l’après révision. Idem au Sénégal avec Abdoulaye Wade qui, élu Président en 2000, ramène cette durée de 7 à 5 ans dans une première révision en 2001, puis de 5 à 7 ans dans une seconde en 2008 et se présente en 2012 après agrément de sa candidature par le Cour constitutionnelle sénégalaise. Donc…
Ce n’est pas encore une bombe a débat, mais ça y ressemble, à voir les petites envolées oratoires qui s’observent progressivement dans les réseaux sociaux. Le 24 avril 2018 au CEPAS/Kinshasa, en effet, Jean-Cyrus Mirindi Batumike, chef des travaux de son état, a tapé le pied dans la termitière de ce à quoi d’aucuns pensaient, peut-être, mais sans l’évoquer ouvertement : la possibilité d’une éligibilité du Chef de l’Etat pour un nouveau mandat à la suite de la révision constitutionnelle intervenue en 2011. Par ses moyens juridiques, et se fondant sur le principe de « l’immutabilité (intangibilité) de la Constitution » qui avait verrouillé certaines matières de la Constitution congolaise dont celles liées au nombre et à la durée des mandats du Chef de l’Etat, l’orateur a commencé par indiquer que ce principe impliquait que le régime juridique de l’élection présidentielle demeure le même, inchangé et inchangeable.
Or, avec la révision de la Constitution intervenue pendant la législature de 2006, le régime juridique qui avait prévalu lors des élections de 2006 n’est plus le même que celui qui a prévalu lors des élections de 2011. De ce fait, indique-t-il, l’on ne devrait pas compter le mandat à partir de 2006 jusqu’à ce jour car, cette révision constitutionnelle a supprimé ou, tout au moins, suspendu le comptage débuté en 2006 pour déclencher un nouveau comptage à partir de 2011. Cette situation est consécutive au fait qu’il y a eu, avec la révision constitutionnelle, deux régimes juridiques distincts (2006 et 2011) relatifs à l’organisation des élections avec des conséquences sur les mandats du Président de la République.
Selon M. Mirindi Batumike, l’article 1er n’aurait jamais dû être évoqué dans la Loi n°011/02/2011 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution du 18 février 2006. De même explique-t-il qu’en en touchant l’article 71, le Constituant avait automatiquement modifié le circuit de comptage du nombre des mandats par le fait de l’instauration tout aussi automatique d’un nouveau régime juridique des mandats passés désormais de deux à un tour tout en faisant passer la majorité absolue à une majorité simple.
En conclusion, l’orateur note qu’il est logique de dire que l’actuel Président de la République a fait déjà un mandat sous le second régime juridique et il lui reste un deuxième et dernier mandat sous ce nouveau mandat débuté sous l’ère de l’Article 1er de la Loi n°011/02/2011 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la RD-Congo du 18 février 2006.
Les jurisprudences françaises et sénégalaises
Ce raison, pour le moins cohérent, trouve un écho dans des cas antérieurs qui font jurisprudence, notamment en France et au Sénégal. En effet, en France, Jacques Chirac, élu Président de la République le 17 mai 1995 pour un mandat de 7 ans renouvelable une seule fois, obtint la révision de la constitution en octobre 2000, ramenant ainsi la durée du mandat de 7 à 5 ans. Mais cette révision ne deviendra effective qu’au terme de ce mandat obtenu en 1995, soit en 2002. Et lors de la présidentielle de 2002, Chirac est réélu. Mais en 2007, il refuse de briguer un autre mandat, puisque la révision constitutionnelle intervenu en 2002 avait lancé automatiquement un nouveau comptage de mandats, lui donnant ainsi le droit de briguer un deuxième mandat de 5 ans.
Pour preuve, au cours d’un discours le 11 mars 2007, Chirac s’adresse au peuple français en ces termes : « Je ne solliciterais pas vos suffrages pour un nouveau mandat ». Il est donc clair que le droit de se représenter pour un second mandat sous le régime de la constitution révisée en 2002 lui était acquis.
La même situation s’est présentée au Sénégal avec Abdoulaye Wade qui avait été élu en 2000 pour un mandat de 7 ans également. Ce mandat fut interrompu suite à une révision constitutionnelle intervenue en 2001, faisant passer la durée du mandat de 7 à 5 ans, puis une autre intervenue en 2008 ramenant cette durée à 7 ans.
Pendant ce temps, Wade est à nouveau élu en 2007 au terme du mandat de 7 ans. Et malgré le débat houleux autour de la candidature de Wade au terme de ce mandat sous le régime constitutionnel d’après révision, il finit par se présenter en 2012 et se fait battre par Macky Sall qui, lui aussi, a, pendant un moment, caressé l’ambition de revoir à la baisse cette durée de mandat avec possibilité certaine de la même conséquence à son profit comme avec Chirac et Wade.
Le couperet de Guy Carcassonne
Toujours sur ce cas du Sénégal, il n’est pas inutile de mentionner que lors du débat sur l’éligibilité de Wade en 2012, Idrissa Seck dont il était le mentor, et qui s’était également présenté, avait recouru au juriste français Guy Carcassonne pour avis.
Celui-ci avait pris soins de ne mentionner nulle part dans son avis la jurisprudence intervenue seulement quelques années plus tôt dans son propre pays. Par contre, il fit allusion à une éventuelle fantaisie d’un constituant qui viendrait, dans ces conditions, à instaurer une présidence collégiale à la place d’une présidence individuelle.
Croyant argumenter sur l’inconstitutionnalité de la candidature de Wade, Carcassonne apporta plutôt de l’eau au moulin de ce dernier en démontrant qu’il sera une aporie (contradiction) que d’avoir deux modes de présidence qui se succèdent sous un même régime juridique.
Quid de la situation en RDC ?
En République démocratique du Congo, cette lecture des conséquences de la révision constitutionnelle est bien connue de la classe politique, surtout dans l’opposition, même si personne ne semble y avoir fait attention.
Ce n’est, en effet, pas pour rien que les opposants, autant que l’église catholique et la communauté internationale demandent instamment à Joseph Kabila de déclarer formellement qu’il ne se présentera pas à la prochaine présidentielle alors qu’aucune loi ne lui en fait obligation. Et en déclarant s’en tenir à la Constitution quant à son sort politique, le Chef de l’Etat se montre très prudent pour ne pas se faire prendre le bras en donnant la main.
Sur le fond, Joseph Kabila est bien droit dans les bottes juridiques qui, à ce stade, ne souffrent d’aucune entorse. Seules les jurisprudences française et sénégalaise pourrait dire le fin mot d’une éventuelle affaire qui surviendrait à son éventuelle décision de se représenter puisque ce droit lui est logiquement acquis.
En ne peut, en effet, pas élire, en 2006, un Président au second tour à la majorité absolue et l’élire à nouveau en 2011 au tour unique et à la majorité simple, et continuer à croire qu’on est dans un même régime juridique.
Le débat est ouvert.
Congovirtuel.org