On en sait maintenant un peu plus des mémos que les leaders de l’opposition ont adressés au président Joseph Kabila à propos de son initiative de convocation d’un dialogue national inclusif. Les têtes couronnées de l’opposition, Tshisekedi de l’UDPS, Vital Kamerhe de l’UNC et JP Bemba du MLC, acceptent d’aller à ce dialogue tout en refusant des postes au gouvernement pour focaliser les débats sur les questions électorales et le découpage territorial
Pour une fois, dans l’histoire politique de la RDC, un dialogue entre la mouvance présidentielle et l’Opposition devrait se tenir sans partage du pouvoir. C’est du moins ce qu’on serait tenté de croire à propos des mémorandums déposés par l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le Mouvement de libération du Congo (MLC) et l’Union pour la nation congolaise (UNC).
Ces trois poids lourds de l’Opposition, les seuls à avoir été consultés par l’émissaire de Joseph Kabila en prévision du dialogue qu’ils ne cessent de réclamer, ont répondu à la sollicitation du chef de l’Etat. Mais, contrairement à la tradition en la matière, indique-t-on, le partage du pouvoir ne figurerait pas au bout des négociations qui se préparent et donc aucun glissement ne sera à l’ordre du jour. Ce qui constituerait donc une véritable innovation par rapport aux anciennes habitudes.
L’UDPS, le MLC et l’UNC ont effectivement répondu au message leur lancé par le président de la République à travers son émissaire. Ce qu’il faut surtout retenir de leurs mémorandums, c’est qu’ils acceptent de prendre part au dialogue national inclusif. Cela ne pose aucune question. Mais, dans leur réponse, il s’est plutôt agi des points qui devront figurer à l’ordre du jour de cet énième forum national pour mettre fin à la crise politique en vue d’aller aux élections dans un climat apaisé. C’est donc en majorité autour des questions électorales que devront discuter la Majorité et l’Opposition au dialogue.
C’est du moins la position des trois partis politiques d’Opposition ayant des assises sociologiques réelles ou comme on dit généralement ceux ayant pignon sur rue.
Pas question de partage du pouvoir au dialogue
Selon le recoupement de trois mémorandums, le dialogue attendu devrait se dérouler en petit format, plutôt que de rassembler tous les partis et regroupements politiques, comme cela se faisait auparavant. Il n’y aurait donc que peu d’élus là où, souvent, il y a beaucoup d’appelés. En plus de cet aspect, le dialogue devrait être piloté par un modérateur neutre, c’est-à-dire par un membre de la communauté internationale. Une innovation pourtant, confient des sources, c’est que le partage des postes au Gouvernement, le partage équitable et équilibré du pouvoir, comme au bon vieux temps, ne sera pas au rendez-vous.
Or, autrefois, chaque dialogue ou négociation ne visait vraiment que cet aspect. Surtout lorsqu’on tend vers les élections afin de permettre aux uns et aux autres de réunir quelques moyens avant d’affronter le scrutin. Cette fois-ci, c’est donc une rupture avec le passé. Aucune de ces trois formations politiques ne serait partant pour la Primature (poste de Premier ministre) ou pour un Gouvernement appelé généralement d’union nationale, devant remplacer celui dit de cohésion nationale dirigé par Augustin Matata Ponyo. Surtout lorsqu’ils évoquent que le Sénat et l’Assemblée nationale sont sous contrôle de la Majorité présidentielle.
Autre point important, le trio UDPS-MLC-UNC n’entend pas cautionner un glissement du calendrier électoral. Peut-être que les trois partis craignent d’être pris à leur piège au point d’être discrédités surtout à l’extérieur. Pour avoir battu campagne dans des capitales occidentales contre le chef de l’Etat actuel, ils s’emploient maintenant à éviter de recevoir le revers de la médaille. Sur ce point précis, l’UDPS, le MLC et l’UNC semblent avoir accordé leurs violons. C’est qu’à leurs yeux, le dialogue sera plus sérieux que jamais.
Questions électorales et du découpage territorial
Qu’est-ce qui sera donc au centre du dialogue ? Les trois poids lourds de l’Opposition parlent de contentieux des élections de 2011, de l’élaboration d’un calendrier électoral consensuel, de l’audit du fichier électoral, de l’enrôlement de nouveaux majeurs, du financement du processus électoral, du gel du découpage territorial, de la neutralité de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), de libération des prisonniers politiques, de réouverture des médias fermés, de libéralisation de l’espace politique et autres. Comme on le voit, ce sont surtout des questions électorales, de découpage territorial et bien-sûr de la libération des prisonniers politiques qui, dans l’entendement de trois poids lourds seront au centre du dialogue national inclusif. Et non, comme à la bonne vieille époque, l’épineuse question du partage des postes au sein d’un Gouvernement.
Si réellement, le dialogue serait limité à un petit groupe et ne prendrait pas assez de temps, cela aussi devrait renforcer l’innovation en la matière. Surtout lorsqu’on sent que, ça et là, d’autres groupes non concernés jusque-là par les consultations s’agitent pour ne pas rater la grande messe politique congolaise.
A cette allure, le petit format préconisé par l’UDPS, le MLC et l’UNC risquerait d’être battu en brèche par des habitués des négociations à la manière de celles organisées autrefois par le maréchal Mobutu, où l’exclusivité rimait souvent avec une formule permettant plutôt de battre le rappel des troupes. Et là, tous les acteurs politiques, peu importe le format de leurs formations politiques, remueront ciel et terre pour être de la partie. Surtout quand on sait que l’Opposition congolaise est plurielle et que cette particularité peut ouvrir la voie à tous les regroupements.
Gare à la dynamique de la salle comme autrefois
C’est au travers de ce cas de figure ci-haut indiqué que, quoi que non prévu au départ du dialogue, le partage des postes au Gouvernement pourrait même passer au devant de la scène. A moins que l’on verrouille suffisamment le format du dialogue comme le réclament les trois grands. Mais alors, si la dynamique de la salle s’implique comme à l’époque de Mobutu, le partage du pouvoir risquera de surprendre les trois grandes formations politiques de l’Opposition.
Peut-être aussi qu’entre elles, les uns et les autres se redoutent et attendent la meilleure occasion pour « sprinter » comme sous la transition de Mobutu où tout le monde tenait à être Premier ministre comme Etienne Tshisekedi. Ce qui avait permis à la famille politique de Mobutu de diviser l’Opposition pour la fragiliser. Un jeu que le Maréchal-président réussissait brillamment. On connaît la suite avec l’arrivée des forces de l’AFDL.
La plupart des messes politiques du genre dialogue ou négociations, de la table ronde de Bruxelles en 1960 au Dialogue inter Congolais à Sun City, en passant par toutes les rencontres durant la transition de Mobutu (Palais de marbre I et II en 1991, Conférence nationale souveraine en 1992, Concertations politiques du Palais du peuple en 1993-94) et les Concertations nationales en 2013, ont souvent visé ou ont toujours débouché sur la formation d’un Gouvernement. Le futur dialogue fera-t-il vraiment abstraction cette fois-ci ? La question reste posée. Toujours est-il que si elle n’a pas l’intention de favoriser le glissement du calendrier électoral et ainsi éviter de venir en aide à la Majorité au pouvoir, l’Opposition ferait mieux de tenir ses promesses. Mais, une chose est de dire ce qu’on veut et une autre de gagner son pari. Car, entre l’idéal et la réalité, intervient toujours la notion d’écart.
M. M./Forum des As